1. Introduction
§ 1 Dès l’origine de la discipline et plus encore depuis un siècle et demi, le développement de la sigillographie a été étroitement lié à la constitution de catalogues de sceaux. En effet, ces recueils, élaborés à partir de la consultation et de la collecte d’empreintes originales, offrent accès à des séries de données et fournissent la principale matière aux études et aux comparaisons. Ils permettent tout autant de reconstituer les corpus des sceaux utilisés par des personnes civiles ou morales, de suivre les évolutions matérielles, techniques ou stylistiques de l’objet, d’analyser les pratiques de scellage et les usages diplomatiques.
§ 2 L’intérêt pour cette collecte de sceaux est apparu dès le début du XVIIe siècle chez les historiographes (Olivier de Wree, André du Chesne) puis s’est développé dans le cadre des pratiques des érudits et antiquaires (Dom Lobineau, François-Roger de Gaignières, Dom Fonteneau), suscitant finalement les grands chantiers initiés à partir du milieu du XIXe siècle dont les catalogues de sceaux de Louis Douët d’Arcq et de Germain Demay restent les archétypes. Cette œuvre s’est d’ailleurs poursuivie jusqu’à nos jours par la publication de recueils consacrés à différentes catégories de sceaux ou à différents fonds documentaires et partiellement imitée dans l’ensemble de l’Europe. D’ailleurs, il existe actuellement, pour les collections françaises, près d’une trentaine de catalogues de sceaux, les dernières publications importantes étant Nielen (Nielen 2011) et Baudin et Blanc-Riehl (Baudin et Blanc-Riehl 2021). Dès la fin du siècle dernier, plusieurs initiatives internationales se sont efforcées d’harmoniser ces démarches d’édition sigillographiques et de standardiser leurs résultats pour garantir la qualité des informations et en faciliter l’analyse : ceci est notamment l’objectif du Vocabulaire international de la sigillographie, composé par le comité de sigillographie du Conseil international des archives en 1990, qui s’est efforcé de détailler tous les termes de la discipline et de fournir leurs correspondances dans les principales langues européennes.
§ 3 Si la richesse de ces outils imprimés est indéniable et reste le socle initial de la discipline scientifique dédiée à l’étude des sceaux, les limites imposées par leurs supports, par les solutions de reproduction disponibles et par la relative faiblesse des méthodes de collecte et de catalogage ont aussi généré de nombreux biais et écueils qui ont faussé un certain nombre d’études et pénalisent encore les recherches sigillographiques.
§ 4 Le développement de catalogues numériques exposant les collections de sceaux de différents fonds d’archives ou offrant des outils collectifs à l’échelle régionale ou nationale, nourris de ces précédentes expériences, s’efforce depuis plusieurs années déjà de combler ces lacunes. En France, plusieurs archives départementales ont, depuis une vingtaine d’années déjà pour les plus anciennes, mis en place des bases à usage interne ou accessibles depuis leur site propre comme les archives départementales de la Loire-Atlantique, de la Côte-d’Or, de l’Aube, de la Vienne, etc. Plusieurs grandes archives européennes ont pareillement catalogué numériquement leurs données sigillaires comme l’Archivio di Stato di Torino (Archivio di Stato 2025) ou les archives générales du royaume de Belgique (pour les moulages). En Europe, plusieurs bases de données publiques ont été initiées ces dernières années, comme la base Sigillvm Portugaliae de María do Rosário Morujão sur les sceaux du clergé portugais (Morujão et al. 2015), DigiSig de John McEwan sur les sceaux anglais (McEwan 2020; McEwan 2022), la base Monasterium de Georg Vogeler sur l’histoire de l’Europe (Vogeler 2001), la base SIGILLA sur les sceaux conservés en France (Hablot, Ferrari, et Broucke 2018; Hablot 2019), ainsi que plusieurs projets allemands et espagnols actuellement en cours (par exemple, le projet Nordhäuser Siegelsammlung sur les sceaux de Thuringe (Nordhäuser Siegelsammlung 2017).
§ 5 Ces supports permettent d’ouvrir de nouvelles perspectives pour toujours plus et mieux considérer le sceau et fournir aux chercheurs d’aujourd’hui et de demain les ressources nécessaires à la connaissance, à l’analyse et à la préservation de ces données fondamentales de l’histoire européenne. Ces outils ont pour principal avantage d’être disponibles en ligne et de permettre aux chercheurs un accès facilité à des sources restées souvent confidentielles, tout en garantissant la préservation de documents précieux et très fragiles. En dépit de nombreux efforts et d’une réelle prise de conscience, dans quelques pays d’Europe seulement, la question de la préservation des empreintes de sceaux reste un problème majeur et les destructions involontaires, au gré des consultations, restent fréquentes, comme le confirment les comparaisons entre des corpus catalogués il y a quelques années seulement et leur état de conservation actuel.
§ 6 En vingt ans déjà, ces corpus numériques ont nécessairement évolué au fil des technologies ou au gré des moyens investis, depuis de simples répertoires de fiches numériques, vers des corpus interrogeables jusqu’aux bases de données relationnelles et interopérables. Ces dernières permettent d’établir des interactions entres les données et autorisent des lectures croisées à plusieurs entrées qui facilitent grandement les requêtes des chercheurs. Le recours prochain à une ontologie et à un vocabulaire contrôlé, partagé par les différents projets numériques de sigillographie, ouvrira de nouvelles perspectives de recherches et d’interopérabilité.
§ 7 Ces corpus numériques offrent également l’avantage de rester des chantiers ouverts, permettant de traiter progressivement, au gré des moyens disponibles, des masses de données souvent considérables et presque impossibles à circonscrire dans un travail d’édition imprimé à court terme. D’autant plus qu’il reste très difficile d’estimer combien d’empreintes de sceaux sont encore conservées dans les collections françaises, et a fortiori européennes. Une estimation approximative, sur la base des collections de la région Alsace estimées à 30 000 empreintes, conduit à évaluer les collections pour les douze régions françaises à près de 350 000 empreintes conservées. La collection de moulages de sceaux des Archives Nationales compte près de 80 000 entrées mais ces moulages ne copient qu’une des empreintes — la plus lisible a priori — consultées au moment de la campagne de collecte. Ces chantiers n’ont d’ailleurs couvert qu’une part très relative des collections nationales et sans doute faut-il penser que plusieurs centaines de milliers d’occurrences sont encore inédites.
2. Un nouveau paradigme de collecte, la possibilité de l’exhaustivité
§ 8 Un des principaux avantages de la collecte numérique reste évidemment la possibilité quasi illimitée de stockage et d’affichage d’informations. Il n’existe pas ici de contrainte de nombre de signes à respecter, pas de problème de coût d’impression du texte et de l’image. Ces conditions, fondamentales, modifient radicalement les approches et les perspectives d’un corpus qui se chiffre, pour la France, à plusieurs centaines de milliers d’occurrences et dépasse sans aucun doute le million de sceaux conservés pour l’Europe.
§ 9 Ces sceaux versés sur les bases numériques sont systématiquement illustrés, à l’exception bien sûr de ceux qui ne sont plus connus que par des descriptions textuelles. La question de la figuration des sceaux répertoriés a toujours été un enjeu essentiel des catalogues et, le plus souvent, un coûteux problème. Plusieurs techniques ont permis d’illustrer les répertoires de sceaux, d’abord le dessin et la gravure puis le moulage et la photographie. Ces techniques portent leurs propres limites, à commencer par la part d’interprétation des artistes pour les dessins et les gravures : citons, à titre d’exemple, les dessins réalisés par Louis Boudan pour François-Roger de Gaignières. L’artiste, en dépit de son évident talent et de sa grande attention pour l’objet, dessine parfois à plusieurs reprise une empreinte tirée de la même matrice en y introduisant d’importantes différences, dans l’image comme dans le texte de la légende.
§10 Une autre limite majeure se trouve dans l’accès aux images elles-mêmes. C’est notamment le cas pour les moulages qui ont été jusqu’à une date récente, le principal medium de reproduction et d’étude du sceau. Tirés en positif, en souffre ou en plâtre, à partir d’un moule négatif produit sur une empreinte originale, ils sont rehaussés par une patine qui rend très lisibles les détails de la gravure. Nombre de catalogues ont donc retenu ce moyen pour illustrer leurs données. Toutefois les contraintes de reproduction, de stockage et d’exposition de ces artefacts ne permettent pas leur diffusion systématique parallèlement à l’impression du catalogue comme en témoignent par exemple les ouvrages sigillographiques de Louis Douët d’Arcq et de Germain Demay, présents dans de nombreuses bibliothèques, mais dont les moulages ne sont consultables que dans la salle de sigillographie du CARAN à Paris.
§11 Enfin, on citera inévitablement, comme limites d’accès aux images de sceaux, les contraintes de coût d’impression (voire la qualité de prise de vue) pour les photographies et celles liées à la reproductibilité et la pérennisation des images pour l’ensemble de ces informations.
§12 Les solutions numériques offrent au contraire la possibilité de photographier ou de numériser chacune de ces données. Les images retenues sont, par essence, une reproduction exacte de leur modèle. Elles sont encadrées par des protocoles précis (éclairage, format numérique, nombre de pixels, etc.) et conservées sous forme de fichiers numériques pérennes (le protocole IIIF gagnerait à être systématiquement appliqué à ces images), exportables et exploitables à l’infini. Leur coût de réalisation, d’exposition, de reproduction, de conservation reste très faible en comparaison des contraintes passées. Leur résolution et les outils accessibles sur les bases permettent de les observer en détail au moyen du zoom, de les couper, de les copier, de les reconstituer, de les télécharger, etc.
§13 Les images numériques ouvrent également de très précieuses perspectives épistémologiques. En effet, les solutions d’illustrations précédentes, nécessairement figurées en à-plat ou 2D, le plus souvent sans relevé du contexte documentaire, ont eu pour effet de dématérialiser le sceau au sens propre, c’est-à-dire de faire perdre conscience de la matérialité de cette galette de cire plus ou moins épaisse ou de cette matrice métallique. En conséquence, dans des études uniquement basées sur les planches de moulages et les catalogues imprimés, le sceau a progressivement été considéré comme une image monoface et autonome, déconnectée de tout contexte documentaire. Nombre d’études sigillographiques ignorent ainsi les informations (pourtant essentielles) de la contre-empreinte, les précisions livrées par le mode d’attache ou, plus étonnant encore, la connexion avec l’acte et son contenu (émetteur, date, lieu, objet). L’image numérique permet désormais de rendre cette matérialité palpable par la couverture photographique associée de l’empreinte et de sa contre-empreinte (et même du flanc du sceau si nécessaire) et leur mise en relation avec l’acte, lui aussi reproduit numériquement.
§ 14 Cette matérialité peut encore être rendue par le biais des prises de vue produites au moyen d’un dôme RTI (Reflectance Transformation Imaging) et surtout par le recours aux images numérisées en 3D. La solution RTI a été retenue par plusieurs projets de bases de données sigillographiques, parmi lesquelles DigiByzSeal (voir la contribution de Catalano-Schaeben dans ce même volume). Le rapport investissement-résultat semble toutefois beaucoup moins intéressant que la saisie 3D privilégiée par la base SIGILLA. Sur cette base de données, les saisies en 3D de sceaux sont produites à partir d’un scanner portatif de type ARTEC. Cet outil, très maniable, doit être déplacé autour de l’objet à numériser et permet, après traitement des données, de restituer un fichier image dynamique et en haute résolution de l’objet, observable dans toutes ses dimensions. Les images numérisées en 3D offrent alors tous les avantages du cliché numérique et même de la saisie RTI, mais permettent également l’exposition interactive et dynamique de l’objet, que le lecteur peut faire pivoter à sa guise, agrandir ou diminuer, éclairer sous différents angles (fonctionnalité essentielle pour la lecture de la légende ou des reliefs abrasés) et surtout reproduire à volonté et de façon très précise, à la manière d’un moulage complet du sceau, à partir d’une imprimante 3D. Si le coût de l’équipement et la technicité du post-traitement des données restent encore un frein à la systématisation de ce type de saisie, les rapides évolutions techniques de la saisie 3D (déjà réalisable en basse résolution avec un simple smartphone !) et le perfectionnement des logiciels de visualisation intégrés dans les bases de données annoncent déjà le développement de ce type de collecte à l’avenir.
§ 15 Plus encore que les moulages ou les photos numériques, ces fichiers 3D offrent également une très précieuse solution d’avenir pour la préservation des données sigillographiques aujourd’hui en péril : rappelons que la plupart des sceaux consultés par Louis Boudan vers 1700 n’existent plus, que nombre de ceux moulés par Germain Demay et Louis Douët d’Arcq à la fin du XIXe siècle ou même ceux collectés par François Eygun en 1938 ont disparus ou se sont fortement dégradés. Citons encore les importantes possibilités offertes par les tomographies qui permettent de lire par radiographie la structure interne du sceau et peuvent être intégrées elles aussi dans les bases de données : Philippe Jacquet a le premier appliqué cette technique au sceau et en a tiré de passionnantes analyses, concernant notamment la fabrication de la galette, les modes de nouages des lacs à l’intérieur des sceaux et les usages propres à chaque chancellerie.
2.1. La collecte possible de toutes les données
2.1.1. Les matrices
§ 16 Idéalement, chaque sceau-empreinte devrait pouvoir être documenté par la matrice originelle dont il est extrait. Pour diverses raisons, la plupart d’entre elles ont hélas disparu et nombre des matrices encore conservées restent inédites, souvent conservées hors des ressources archivistiques classiques, ce qui a largement pénalisé notre connaissance des collections. Les bases numériques offrent désormais de précieux outils pour le recensement de ces matrices, en permettant notamment de valoriser leur matérialité par une couverture photographique numérique complète — et éventuellement une numérisation 3D — et par la confrontation des images de leur gravure avec les empreintes conservées, quand elles peuvent exceptionnellement être rapprochées (voir par exemple le cas de la matrice de Jean du Cigne, utilisée vers 1437–1442 ; SIGILLA 2013). Ces outils numériques permettront encore, à moyen terme, de distinguer (par comparaison avec les empreintes et l’étude microscopique de la gravure) les fausses matrices, largement produites entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle pour satisfaire la demande des collectionneurs, notamment par la technique du surmoulage, forgeries qui « parasitent » encore les répertoires de sceaux et les collections.
§ 17 Le corpus des matrices est d’ailleurs continuellement renouvelé par la pratique popularisée du détectorisme qui conduit depuis quelques années de nombreux praticiens amateurs à « inventer » de façon plus ou moins légale des matrices inédites qu’il faut impérativement rendre à la science en les intégrant dans les catalogues numériques. En effet, les matrices de sceau font partie des découvertes « courantes » des détectoristes, au même titre que les monnaies ou les ornements de laiton des harnachements de chevaux ou d’animaux de chasse. Perdus au gré des déplacements, au fond des latrines ou enterrés avec leur propriétaire, ces objets redécouverts restent souvent confidentiels ou, du fait de l’illégalité de leur invention, circulent sur un marché parallèle très visible sur le web mais volontairement ignoré par la recherche publique. Des initiatives telles que le Portable Antiquities Scheme (British Museum et Museum Wales 1997), encadré par le Treasure Act développé au Royaume-Uni et imité aux Pays-Bas, mériteraient d’inspirer le législateur dans le reste de l’Europe, la France en particulier.
2.1.2. Les empreintes
§ 18 Si beaucoup de sceaux ne sont plus connus aujourd’hui que par une unique empreinte souvent même fragmentaire, dans de nombreux cas, pourtant, plusieurs empreintes produites par une même matrice ont été conservées et peuvent être rapprochées en croisant les catalogues anciens ou sont redécouvertes au cours des collectes. Pour d’évidentes raisons pratiques, une très large majorité des catalogues imprimés a fait le choix de ne citer et de ne reproduire que la meilleure des empreintes conservées pour chaque modèle de sceau étudié. Ce parti pris a eu de nombreuses conséquences et a, aujourd’hui encore, d’importantes incidences. Il conduit notamment à ignorer les différents usages d’un même sceau tels que, par exemple, son association à différents contre-sceaux, sa facture dans différentes couleurs de cires ou ses variantes d’apposition et d’attache. Plus directement, cette démarche oublie volontairement de recenser le nombre d’occurrences conservées (et donc, en retour, de connaître l’activité diplomatique documentée du sigillant), ou conduit encore, faute d’une lecture de détail, à confondre des modèles ressemblants à première vue mais distingués par de discrètes différences qui ne deviennent évidentes que si l’on prend la peine de collecter et de décrire chacune de ces empreintes.
§ 19 En même temps qu’il s’enrichissait, le savoir sigillographique a donc hélas paradoxalement beaucoup perdu en raison de ce pragmatisme initial des grands catalogues. L’outil numérique offre au contraire la possibilité de répertorier, de façon aussi exhaustive que possible, toutes les empreintes conservées extraites d’une même matrice. Même si l’exercice peut sembler fastidieux dans le cas des empreintes produites abondamment par des matrices longtemps conservées et donc encore très nombreuses dans les collections — c’est le cas par exemple des sceaux de juridiction —, les efforts conduits dans ce sens depuis une dizaine d’années ont déjà prouvé tout l’intérêt de la démarche, qui a permis notamment :
de valoriser les collections quelle que soit leur importance numérique : il n’est pas rare que des conservateurs de collection dévalorisent d’emblée les empreintes peu lisibles ou mal conservées qu’ils détiennent, les considérant inexploitables. Ces sources retrouvent tout leur intérêt lorsqu’elles sont confrontées aux autres empreintes tirées de la même matrice, complétant parfois un détail manquant, illustrant potentiellement un autre type de cire, un nouveau mode d’apposition, un type inconnu d’association avec un autre sceau ;
de distinguer de prétendus doublons : il est fréquent que les auteurs, soucieux d’isoler la meilleure empreinte conservée, aient regardé un peu vite les autres empreintes ressemblantes. Le souci de toutes les intégrer grâce aux catalogues numériques impose une lecture détaillée de chaque empreinte et a permis à de nombreuses reprises déjà d’isoler de nouveau sceaux-types inédits ;
de préciser les périodes d’utilisation d’une matrice, ou de faire apparaître la richesse des mises en forme d’un même sceau.
2.1.3. Dessins, gravures, moulages, photographies
§ 20 La capacité d’information autorisée par la base de données permet également d’ajouter aux données sigillaires conservées dans le métal ou dans la cire toutes les sources dérivées produites autour des sceaux, telles que les dessins ou les gravures. Ces images sont parfois les seules informations relatives à certains sceaux parvenues jusqu’à nous et leur intégration dans les bases de données sigillographiques permet de compléter très utilement les corpus des sigillants pour viser là encore à l’exhaustivité de la connaissance et permettre une étude aussi documentée que possible des pratiques et du discours. De nombreuses théories établies par les sigillographes sur la base des quelques sceaux répertoriés dans les grands catalogues ont ainsi été révisées à la lumière de ces nouvelles données. Cette réalité est notoire dans le cas de l’étude héraldique des sceaux. Chaque changement de situation matrimoniale ou politique implique le plus souvent un changement d’armoiries et donc de matrice et de discours dans l’image et la légende du nouveau sceau. Il reste donc très hasardeux de fonder une interprétation héraldique ex abrupto à partir d’un unique sceau sans tenir compte des évolutions de situations et de l’ensemble des matrices utilisées par le sigillant considéré.
§ 21 L’intégration, aux côtés des empreintes conservées, d’un corpus aussi riche que celui des dessins de sceaux des relevés de François-Roger de Gaignières conduira sans aucun doute à une bien meilleure connaissance des corpus. Ces données annexes, quand elles sont suffisamment précises, sont également très utiles pour définir les périodes d’utilisation de telle ou telle matrice documentée d’ordinaire par la seule datation des actes conservés. Les très nombreux cartulaires relevés par Barthélémy Rémy et Louis Boudan à la demande de François-Roger de Gaignières livrent ainsi des milliers d’actes datés dont les sceaux ont été dessinés, la couleur de la cire et le mode d’attache décrits. Plusieurs collaborations entre la base de données COLLECTA (COLLECTA 2025) et SIGILLA ont déjà été mises en place (par exemple au sujet des sceaux du cartulaire de Notre-Dame du Val) et un nouveau chantier d’intégration vient d’être financé en 2024 par le programme Biblissima+. La confrontation des relevés, dessins ou gravures, avec les données réelles permet aussi d’apprécier la fiabilité de l’interprète et de jauger de la qualité de ses informations, surtout lorsqu’elles sont l’unique source conservée.
§ 22 Les collections de moulages, adossées aux catalogues qu’elles illustrent, gagnent elles-aussi à enrichir les collectes numériques. Sans compter le fait que ces artefacts sont parfois l’unique témoignage de sceaux récemment disparus ou endommagés, ces moulages prennent tout leur sens lorsqu’ils sont replacés au sein du corpus des empreintes qu’ils illustrent. Il n’est pas rare que depuis l’impression de ces moulages, de meilleures empreintes aient été découvertes. Ils témoignent ainsi d’un état de l’art et de la connaissance dans l’étude de tel ou tel sceau. Il en va de même pour les photographies anciennes de sceaux, finalement assez nombreuses et souvent négligées dans les réserves documentaires et qui, parfois pourtant, livrent d’inestimables informations sur des objets désormais disparus.
§ 23 Soulignons encore la possibilité illimitée de prendre en compte (et surtout d’ajouter au gré des découvertes) toutes les mentions textuelles relatives à un sceau connu, qu’il s’agisse de l’annonce du sceau dans les actes, des inventaires après décès décrivant les matrices possédées par le défunt ou des commandes de sceaux passées aux graveurs, des déclarations de perte du sceau, des mentions de destruction, etc. Toutes ces citations relatives aux sceaux et à leurs usages permettent souvent de compléter les données conservées et de restituer chaque sceau au cœur des pratiques du sigillant.
2.2. L’indexation collaborative et les sciences participatives
§ 24 Pour relever le défi de quantités de données par essence impossibles à circonscrire dans le temps normal d’une carrière de chercheur ou dans celui de projets financés, plusieurs projets régionaux ou nationaux de bases de données sigillographiques ont fait le choix de l’indexation collaborative. Il s’agit précisément de solliciter la participation de toutes les bonnes volontés possibles intéressées par l’idée de contribuer à valoriser ce patrimoine exceptionnel : chercheurs, étudiants, archivistes, historiens amateurs ou généalogistes. Cette solution introduit un très important changement dans les pratiques sigillographiques traditionnelles puisqu’elle fait le pari de faire décrire et cataloguer des sceaux à des amateurs principalement initiés au monde de la sigillographie au moyen des interfaces de saisie des bases et d’une formation très condensée. Ce choix, initialement très controversé par les auteurs traditionnels des catalogues, sigillographes chevronnés tenants d’un savoir patiemment acquis et nécessitant a priori les multiples compétences du médiéviste, du paléographe, du diplomatiste, de l’archiviste, de l’héraldiste, du généalogiste, de l’historien de l’art, a pourtant fait ses preuves. La centaine de néophytes formés à la saisie via la base SIGILLA depuis dix ans, notamment les équipes de bénévoles du projet SigiAl, ont ainsi permis d’intégrer un nombre très important de nouvelles données relatives à des sceaux souvent inédits, collectés directement sur les actes et parfaitement décrits, souvent plus rigoureusement même que dans nombre de catalogues scientifiques.
§ 25 Les outils de saisie numériques et les formulaires qu’ils mettent à la disposition des contributeurs sont bien sûr les principaux relais et les moyens essentiels de ce savoir participatif. Ils doivent donc être précisément pensés et présentés pour permettre à des sigillographes débutants d’apporter leur pierre à l’édifice, soutenus par des solutions ergonomiques et intuitives, ne permettant qu’une marge minimale d’erreur dans la description et le catalogage des sceaux observés : à cette fin, la saisie sur SIGILLA s’accompagne des tutoriels pédagogiques et est en partie garantie par l’auto-complétion des champs, la sélection au sein de listes fermées d’informations et des séries de pictogrammes explicatifs.
3. Les perspectives de recherche
§ 26 Les bases de données sigillographiques ouvrent donc de nombreuses perspectives de recherche même si elles connaissent, naturellement, elles-aussi leurs limites.
3.1. Construire des relations et constituer de nouveaux corpus thématiques
§ 27 Outre leur immense capacité de stockage, un des premiers intérêts des bases de données par rapport aux catalogues de sceaux imprimés est la possibilité d’établir des relations entre les différentes entités répertoriées. Il s’agit d’abord de relations induites par l’objet lui-même et par ses usages fonctionnels. Ainsi, par exemple, dans SIGILLA chaque sigillant est rattaché à un ou plusieurs sceaux-types : le sceau-type est un concept utilisé dans SIGILLA et constitué par la somme des informations (texte de la légende et image) contenues dans des empreintes extraites de la même matrice ; à défaut de conserver toutes les matrices originales et d’en posséder toujours une empreinte complète, cette solution permet d’en décrire le contenu en se basant sur ses différentes impressions conservées. Ces sceaux-type, éventuellement documentés par la matrice si elle est conservée, sont eux-mêmes liés aux empreintes qu’ils produisent (empreintes dont les contre-empreintes éventuelles sont signalées et rattachées à leur propre sceau-type et dont les avatars — dessins, moulages — sont signalés), attachées à des actes, eux-mêmes parfois multiscellés (et donc renvoyant, par le biais des autres empreintes, à d’autres sceaux-types et d’autres sigillants).
§ 28 Ce jeu de circulations des relations permet donc une consultation en série de la donnée et l’inscrit systématiquement dans son contexte de production et d’exposition. Mais ces relations peuvent bien sûr être étendues aux besoins de la recherche, en précisant par exemple la situation politique ou matrimoniale du sigillant durant la période d’utilisation de chacun de ses sceaux, en établissant les liens de parenté du sigillant avec d’autres sigillants du répertoire pour identifier des types, des modèles, des reprises ou des citations, etc. La possibilité offerte par l’outil numérique de conduire des requêtes par thèmes ou d’établir des relations croisées entre les informations documente désormais des champs d’enquête restés pendant longtemps très laborieux à alimenter voire impossibles à construire. On pourra ainsi rattacher à des sigillants tous les sceaux d’institutions produits sous leur autorité, consulter tous les sceaux portés par les comtes de Poitiers ou ceux de Toulouse durant une période donnée, isoler toutes les matrices remployées par des successeurs, identifier tous les sceaux de cire verte appendus sur double queue de parchemin entre telle et telle date, relever tous les liens en soie ou ceux en couleur, collecter tous les sceaux des abbesses cisterciennes de l’Ouest de la France entre 1200 et 1350, rechercher tous les sceaux équestres alsaciens sur lesquels le cheval galope vers la gauche, etc.
3.2. Exploiter les images
§ 29 Le recours systématique aux images numériques et les solutions fournies par les outils informatiques actuels offrent d’innombrables possibilités. Ils permettent notamment de très précieuses comparaisons, par exemple entre des sceaux prétendument extraits d’une même matrice ou entre des sceaux inspirés d’un même modèle. Il est d’ailleurs désormais possible de reconstituer, à la façon d’un puzzle, l’image d’une matrice disparue en associant différents fragments complémentaires d’empreintes qui en sont issues. L’intégration d’un module spécifique dans la base SIGILLA est à l’étude, notamment pour illustrer le sceau-type quand ni la matrice ni aucune empreinte complète ne sont conservées. Cet assemblage est techniquement faisable (il se pratique déjà en 3D sur les poteries anciennes) mais son application au cas spécifique des sceaux est complexe (déformation des tirages, usure des cires, qualité des images, etc.). Le résultat produit doit en outre être très clairement identifié comme une reconstitution pour ne pas induire le chercheur en erreur comme cela a parfois été fait pour des moulages reconstitués dans les catalogues imprimés.
§ 30 Ces outils ne cessent d’ailleurs de s’améliorer et leurs fonctionnalités de s’étendre. De nombreuses modalités d’affichage des informations engrangées dans les bases peuvent encore être imaginées. Il serait par exemple très utile de pouvoir reconstituer des généalogies sur lesquelles chaque individu serait associé aux images de ses sceaux, de créer des « paniers » et des « mosaïques » avec les images de sceaux rassemblés autour d’un thème (sceaux des officiers de la couronne, sceaux avec la figuration de saint Antoine, sceaux avec tel type d’emblèmes, etc.)
§ 31 La base SIGILLA intègre jusqu’à présent un logiciel permettant de répertorier les armoiries figurées sur les sceaux quels que soient leurs supports (écu dans le champ, décors, supports). Reconstituées par plans selon les principes du blason, ces armoiries peuvent être complétées par l’ajout de brisures ou de combinaison qui prennent en compte toutes les solutions de l’héraldique médiévale. Attachés à des individus et à des familles, ces signes renseignent un nouveau jeu de relations dans la base qui permet de nouvelles requêtes dont les résultats sont très instructifs pour l’historien et l’héraldiste (apparition des armoiries, des cimiers, diffusion d’une armoirie au sein d’un lignage, solutions de brisures et de combinaisons adoptées, variantes, homonymies, etc.). Ce « module héraldique » va être totalement reconstruit dans une nouvelle version de SIGILLA. Il s’appuiera désormais sur l’outil élaboré au sein du programme Digital Heraldry de l’Université de Berlin, conduit par Torsten Hiltmann (Hiltmann et al. 2020). Cet outil, basé sur des ontologies, associe les données héraldiques, encodées en RDF, avec un jeu de relations pour l’élaboration d’un web sémantique structuré autour de l’information héraldique. En s’y associant, SIGILLA contribuera à alimenter un répertoire de données héraldiques européennes qui mettront en relation des quantités très importantes de données, qui vont radicalement changer la recherche héraldique.
3.3. L’interopérabilité
§ 32 Les évolutions actuelles des humanités numériques autorisent à penser que le rêve déjà ancien de données interopérables — c’est-à-dire capables de communiquer entre elles depuis des sources distinctes — est en passe de se réaliser. En effet les efforts et les contraintes imposés par les instances supérieures de la recherche en vue de la standardisation et de la pérennisation des données commencent à porter leurs fruits et incitent les différents opérateurs à mettre en œuvre des solutions de partage des données de plus en plus performantes. Ainsi, l’adoption de standards de description communs, qualifiés de « vocabulaires contrôlés » et associés aux jeux de relations qui leur sont propres pour former des ontologies, spécifiques à chaque discipline, permet d’établir un langage universel qui produit des correspondances entre les entités. Concernant la sigillographie, l’Université de Graz partage une ontologie fondée sur le Vocabulaire International de la Sigillographie (https://gams.uni-graz.at/archive/objects/o:vis/methods/sdef:SKOS/get) et une démarche analogue a été développée dans le cadre de la base Digisig (McEwan 2020) : ces modèles seront bientôt réutilisés dans le programme SIGILLA.
§ 33 Défini par le même terme et un même identifiant, un même sceau signalé dans des sources distinctes sera repérable par un unique moteur de recherche. Ces données désormais « ouvertes » sont exportables et exploitables — par le biais d’API (interfaces de programmation d’application) ou d’ontologies RDF (Resource Description Framework) dans plusieurs contextes documentaires : encore une fois, on pourra se reporter aux solutions de données ouvertes développées par le projet de John McEwan sur sa base Digisig (McEwan 2020) et ses perspectives (Schneider 2020b).
§ 34 À moyen terme, les sceaux répertoriés dans une base française pourront ainsi être complétés par ceux catalogués dans des répertoires numériques étrangers et permettre par exemple d’ajouter au corpus des sceaux de tel prélat une empreinte conservée au Portugal ou une autre en Italie.
§ 35 Ces formes d’interactions entre les bases de données existent déjà par le biais de liens hypertextes ou d’API et permettent à une base comme SIGILLA de partager certaines de ses données avec d’autres bases telles que BIBALE (partage du référentiel d’autorité de ce répertoire des commanditaires de manuscrits, IRHT-CNRS 2013), COLLECTA (partage des sceaux de la collection Gaignières, COLLECTA 2025), ARMMA (partage des armoiries répertoriées dans l’Armorial monumental du Moyen Âge, Hablot, Ferrari, et Broucke 2025), DEVISE (partage des informations relatives aux emblèmes de la fin du Moyen Âge, CESCM 2025), et diverses autres bases ou projets numériques de diplomatique, comme TELMA (IRHT-CNRS 2025) ou ACCRONAVARRE (Chareyre 2025).
4. Les limites et les biais de la recherche numérique
§ 36 Mais ces outils et leurs modes d’incrémentation n’ignorent pas non plus les limites et introduisent nécessairement leurs propres biais.
4.1. Une donnée en constante évolution
§ 37 Le propre d’une base de données participative est de traiter une masse de données considérable et de rester ouverte dans son contenu. Les données exposées y sont donc presque toujours provisoires et incomplètes ou perfectibles. Dans le cas des sceaux, il est fréquent en effet que les consultations de nouvelles sources permettent de découvrir de nouveaux sceaux-type, de réviser des fourchettes d’utilisation, d’introduire de nouveaux sigillants ou de préciser tel ou tel aspect de leurs biographies ou de la bibliographie. Le chantier est donc presque infini et sans cesse remis sur l’ouvrage. La révision régulière des fourchettes d’utilisation des sceaux-types (ou des matrices donc) est par exemple un aspect essentiel de cette mobilité de la donnée : en raison de la nécessité de corrections incessantes des informations des catalogues publiés, le programme SIGILLA a récemment fait le choix d’abandonner le nommage numérique traditionnel (par exemple « premier sceau secret », « deuxième grand sceau ») au profit d’un nommage et d’un classement par type de sceau et dates d’utilisation (par exemple « grand sceau 1410–1433 »). Ces dernières sont automatiquement mises à jour à chaque nouvelle empreinte ajoutée si celle-ci élargit, de façon documentée, la période d’usage.
§ 38 L’idéal serait, bien entendu, que le contenu déjà accessible, même incomplet, soit au moins vérifié et garanti. Des processus de validation et de contrôle y veillent en effet, mais cet engagement reste quasi impossible à tenir compte-tenu de la quantité des contributeurs et surtout du manque de fiabilité des sources sigillographiques elles-mêmes. Nombre des catalogues « classiques » de la sigillographie, à commencer par le célèbre catalogue de Louis Douët d’Arcq, contiennent d’importantes erreurs et doublons reproduits dans de nombreux catalogues postérieurs qui le citent en référence. Le nettoyage de la donnée fait donc partie inhérente de la collecte, y compris dans les sources secondaires considérées comme fiables.
§ 39 Cette politique d’indexation collaborative a trouvé dans le programme partenaire conduit en Alsace, SIgiAl, un mode de fonctionnement très efficace avec la formation régulière de contributeurs étroitement encadrés dans leurs saisies et travaillant en équipe sous la houlette des responsables du projet. Ce modèle sera prochainement reproduit dans le canton de Neuchâtel et potentiellement étendu à l’ensemble des collections de la Suisse romande.
§ 40 Le chercheur doit donc continuer à tenir compte de ces aléas — comme il devrait le faire systématiquement en vérifiant ses sources — quand il utilise un outil de recherche numérique et ne pas considérer que la machine a, par principe de progrès, davantage raison que le papier. La base sigillographique, aussi parfaite soit elle, n’est qu’un outil qui ne dispensera jamais le chercheur de chercher !
4.2. Les contraintes informatiques
§ 41 Au même titre que les catalogues de sceaux imprimés étaient soumis aux contraintes techniques de ce moyen, les bases de données sigillographiques sont elles aussi exposées aux aléas de l’informatique. L’un des plus évidents est sans doute la perpétuelle évolution des systèmes et l’obsolescence rapide des solutions qui imposent de constantes et coûteuses réécritures des codes. Soulignons également le décalage existant entre les attendus des humanités numériques et les savoirs des professionnels du développement informatique. Ces problèmes ont heureusement été pris en compte et ont encouragé le développement de codes propres aux humanités numériques, tenant compte des impératifs de ce type de données dans ce contexte scientifique. Les bases de données scientifiques doivent désormais répondre aux principes FAIR selon lesquels les données doivent être découvrables (Findable), accessibles (Accessible), interopérables (Interoperable) et réutilisables (Reusable). Ces outils doivent également produire un « Plan de gestion de données » qui définit et encadre l’état présent du projet au regard de ces standards et les évolutions prévues. Des logiciels de création de bases de données en Open Source tels que HEURIST (Johnson et al. 2005) prennent désormais en compte ces impératifs.
§ 42 La problématique de la pérennité des bases et de leurs contenus, longtemps au cœur du sujet pour des raisons évidentes de temporalités distinctes entre les financements, la disponibilité des chercheurs et la création de solutions informatiques, est en cours de résolution. Les données des outils numériques scientifiques doivent désormais être régulièrement déposées dans des entrepôts de données (du type ZENODO au CERM) qui en garantissent la conservation et la possibilité de réutilisation à long terme.
§ 43 Ces outils numériques ont par ailleurs les défauts de leurs qualités dans la mesure où, potentiellement, l’informatique permet de tout décrire et de tout réaliser ou presque. Ainsi, la description de la donnée, qui, grâce à l’informatique, pourrait s’étendre de façon quasi illimitée à chacun de ses éléments et chacune de ses relations selon les intérêts propres de chaque chercheur, doit faire l’objet de choix rationnels pour rester appréhendable. Par exemple, la base SIGILLA a retenu une centaine de champs de description relatifs au sceau et à son environnement documentaire, élargis aux informations relatives aux armoiries (module héraldique) à l’écriture de la légende (module épigraphique), aux emblèmes, aux relations généalogiques. Cette liste pourrait être considérablement étendue en ce qui concerne notamment la description de l’image avec le recours systématique à un thésaurus, ou encore par la géolocalisation des données (fiefs, lieu d’émission de l’acte, lieu de conservation du sceau), etc. Le responsable de programme doit donc s’efforcer de tenir un juste équilibre entre la quête de la précision, le développement d’innovations utiles et l’objectif prioritaire qui reste de rendre accessible des données « propres » et d’accroître son corpus.
§ 44 Le développement de solutions en intelligence artificielle ouvre désormais de nouvelles perspectives, notamment la reconnaissance automatique d’images et de caractères déjà appliquée aux sceaux dans plusieurs projets : on pense par exemple au projet conduit par Philippe Schneider dans le cadre du programme Digital heraldry de l’Université Humboldt (Schneider 2020a) ; cette technologie de reconnaissance automatique des formes assistée par l’intelligence artificielle est également développée par le programme cité Nordhäuser Siegelsammlung (Nordhäuser Siegelsammlung 2017), et c’est aussi le propos du projet BHAI sur l’intelligence artificielle hybride appliqué à la sigillographie byzantine conduit par Victoria Eyharabide (voir la contribution de V. Eyharabide dans ce même volume). À cela on ajoutera la construction d’un Web sémantique dédié, concept très en vogue actuellement, promettant de nouvelles perspectives, qui demanderont à être solidement encadrées mais qui annoncent de considérables changements dans l’analyse des données.
5. Conclusion
§ 45 Les initiatives de catalogage numérique des sceaux conduites à travers le monde ouvrent donc de nouvelles et passionnantes perspectives dans les recherches sigillographiques. Le simple recours à la description numérique a déjà entraîné une chaîne de questionnements et de nouvelles approches qui bousculent nos disciplines.
§ 46 Nul doute que ces outils, dont la réalisation se diffuse largement depuis quelques années, joueront un rôle essentiel dans la valorisation et la préservation d’un patrimoine sigillaire longtemps négligé et réellement en péril. L’espoir est désormais permis de parvenir dans quelques années à un répertoire commun, ou du moins interopérable, de la majeure partie des sceaux conservés en Europe. Il reste toutefois essentiel que la recherche conserve sur ces outils numériques un regard critique afin d’identifier et de corriger les inévitables biais qu’ils produisent et de ne pas se laisser enfermer dans des logiques exclusives, comparables à celles créées en leur temps par les catalogues imprimés. Il importe également de veiller à ce que l’attrait pour le progrès et l’innovation ne détournent pas ces projets de leur objectif initial : fournir aux chercheurs des ressources pour leurs travaux et préserver nos sceaux.
Déclaration d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts relativement à la rédaction et au contenu de cet article.
Contributions
Éditoriales
Éditeur.e.s-en-chef invité.e.s de l’édition spéciale
Martina Filosa, Universität zu Köln, Allemagne
Claes Neuefeind, Universität zu Köln, Allemagne
Claudia Sode, Universität zu Köln, Allemagne
Pairs évaluateurs
Laurent Macé, Université Toulouse « Jean Jaurès », France
Maria do Rosário Morujão, Université de Coïmbre, Portugal
Éditeur de section, de traduction et rédacteur
Davide Pafumi, The Journal Incubator, University of Lethbridge, Canada
Éditrice de la production
Christa Avram, The Journal Incubator, University of Lethbridge, Canada
Éditeur de fonds d’écran
A K M Iftekhar Khalid, The Journal Incubator, University of Lethbridge, Canada
Références
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